Deux univers pour satisfaire votre quête des grands espaces en toute quiétude.



dimanche 28 juillet 2013

Prisonnier de la banquise

Mardi 23 juillet, 10h :

Appareillage de Reykjavik à destination de la côte est du Groenland.

Grand beau temps, soleil, brume sur les reliefs, vent faible. De nombreux oiseaux nous accompagnent, des macareux à l’envol bien amusant, des pingouins Torda, des sternes, des fulmars, …

Inquiété par des baisses irrégulières du régime du moteur, je finis par trouver une prise d’air sur le couvercle du filtre à gasoil. Nous voilà plus serein pour la suite du voyage.

A 5 milles au nord de Reykjavik nous stoppons le bateau pour observer des petits rorquals ou rorquals au museau pointu, les plus petits des balénoptères (8 à 9m et 7 à 9T). Contrairement à la baleine à bosse, que l’on observe au Groenland, quand il sonde le Rorqual arque fortement son dos en montrant l’aileron dorsal, mais ne montre que très rarement ses nageoires caudales.



Nous longeons la côte sud de la presqu’île du Snaefellsjokull, volcan que nous observons dans la brume.

Très vite nous plongeons dans un épais brouillard, et le vent d’ouest face à l’étrave est bien frais. L’idée d’arriver au Groenland au près, face au vent, inquiète les plus frileux. La température de l’eau est 9°c. La mer, désordonnée, secoue bien Algol et malmène les estomacs de nos équipiers.

Mercredi 24 juillet :
Le vent a forci à 18-22 nœuds tournant au Nord-Nord-Est conformément à la prévision météo. Vent de travers, le bateau marche bien à 8nds. Nous avons parcouru 16O milles en 24 heures. Le brouillard est toujours très dense. Les températures de l’eau et de l’air sont de 8°c, l’humidité nous transperce la peau et il est peu agréable de rester sur le pont.

Nous visualisons, via l’AIS, de nombreux navires de pêche, des bateaux usines de 60 à 110 mètres, Islandais et Féroïens, qui chalutent dans les grands fonds de 2000 mètres.

Jeudi 25 juillet :
Après avoir parcouru 171 milles ces dernières 24 heures le vent nous abandonne d’un coup. La mer s’aplatit et un très épais brouillard nous envahit. Une veille rigoureuse s’impose au radar, sur l’écran (AIS) et, moins confortable, sur le pont où nous nous relayons toutes de 15 minutes. Nous enfilons les vêtements polaires. C’est l’occasion de croiser quelques baleines et troupeaux de globicéphales.

Nous quittons la zone de pêche, celle des grands fonds.

Les éléments météo dont nous disposons (fichiers Grib et Navtex), prévoyant des vents de secteur Sud-Ouest 15-20 nœuds,  ne nous permettent pas d’envisager une route directe, car au près, vers Sermiligaq. Nous poursuivons donc notre route ouest avec un peu de sud et virons de bord dès que nous sommes sûrs de rejoindre notre but en un seul bord, sous réserve de l’état de la glace en bordure des côtes. En latitude nous sommes encore à 60 milles (110 km) au-dessous de notre point d’atterrissage. Notre route sera donc un peu plus longue.




13h00, tout le monde sur le pont, nous apercevons les montagnes Groenlandaises dans le quart tribord avant ; nous sommes à 70 milles (130 km) de la côte. Grand ciel bleu, vent de sud-ouest 20 nœuds, Algol file à 8 nœuds au près bon plein bâbord amure, toutes voiles établies,  vers son but. L’équipage a retrouvé la forme et le moral est bon. La vie du bord s’anime, certains profitant du soleil, d’autres lisant dans le carré ou cuisinant, les alpinistes étudiant les topos montagne, … Nous faisons déjà des prévisions d’ETA (estimated time arrival), minuit, 2 h du matin,…
C’est sans compter sur les caprices de la banquise !!!

16h00, à 45 milles du Kap Dan (pointe sud de l’île de Kulusuk), première terre, l’île Uigertertivit au sud-est du fjord Sermiligâq.

18h00, On aperçoit la banquise, trait blanc sur l’eau. 15 minutes après nous sommes au milieu du pack. Affalage des voiles et moteur  démarré pour être plus manœuvrable.

Banquise étroite et bien disloquée ; Algol se fraye une route sans problème. Un phoque sur une plaque de glace nous salue : accueil sympathique !





22h00, de nouveau dans la banquise, cette fois-ci très compacte. Début d’une progression extrêmement lente entre les glaces et les icebergs. C’est de plus en plus dense. Le brouillard tombe.

Séquence émotion, un ours blanc surgit à tribord sur une plaque de glace.

Nous voyons de nombreux groupes de phoques évolués à vive allure entre les glaces ; superbe spectacle.


Vendredi 26 juillet :

Nous sommes bloqués, prisonniers des glaces.

6h15, nous faisons demi-tour à 5 milles de la côte. 1 équipier ou moi dans le mât et 1 dans le balcon avant, il faut trouver un passage. Nous progressons à moins d’1 nœud, dans le brouillard puis sous la pluie.

21h00, nous sommes crevés, n’ayant pas dormi depuis plus de 24h, et toujours en quête d’un passage.  Nous nous amarrons à une plaque de glace, nous dériverons avec elle et ainsi nous ne nous cognerons pas aux autres plaques.

L’air et l’eau sont à 0°c, à l’intérieur du bateau, avec le chauffage, il fait 15°c. Dîner d’une bonne tartiflette. Les alpinistes du bord s’adaptent bien et apprécient le confort du refuge Algol.

Nous apprécions la robustesse de notre voilier en acier, équipé d’une cage pour protéger notre arbre et sa grosse hélice tripale. Nous cognons souvent très fortement la glace dans un bruit sourd, poussant des plaques pour se dégager ou se frayer un passage. Barrer dans ces conditions est épuisant.

Samedi 27 juillet :

7h00, appareillage ; nous quittons notre bout de banquise après une petite nuit réparatrice. Tout est calme, enveloppé d’une brume épaisse, et la glace est toujours là. Nous avons dérivés de 5,8 milles en 7 heures vers le sud. Nous reprenons notre route vers l’ouest, l’objectif de la journée étant d’atteindre Tasiilâq, à 42 milles d’ici, où le fjord Angmagssalik s’il est libre de glace. Les dernières cartes de glace ne sont pas encourageantes, le fjord de Semiligâq et ceux du nord sont bouchés par la glace. La banquise s’étend sur une largeur de 35 milles (65 km) le long de la côte.

Pourquoi tant de glace cette année ? Les forts coefficients de marées de ces derniers jours (102) contribuent à l’engorgement des fjords, les vents de sud à sud-ouest aussi peut-être,… ; nous essayerons de comprendre les raisons.

Fin de matinée, c’est mieux. Nous progressons vers l’ouest à 4 nœuds de moyenne. Nous nous accordons une pause déjeuner le bateau amarré à une plaque de glace. Nous avons fait des gâteaux ; le four réchauffe le carré.

En eau libre le radar nous signale les obstacles par des tâches rouges. Au milieu de la banquise tout est rouge et on distingue sur l’écran les gros icebergs des autres glaces par un cône blanc ; le radar ne détecte rien derrière la muraille blanche. Sur le pont, noyé dans le brouillard, surgit subitement à moins de 0,2 milles une grande muraille blanche et un air très froid nous envahit. Spectacle féerique.

Dès que le soleil perce le brouillard il fait chaud !

Après-midi, la voie semble libre. Ça ne dure pas et la glace et le brouillard nous accompagneront jusqu’à Tasiilâq où nous jetons l’ancre au milieu des glaces à 18h locale (TU-2) ce samedi.

Le brouillard se levant, nous trouvons une ville colorée et ensoleillée ; le beau temps arriverait-il ?

Nous avons droit au bravo et aux applaudissements de nos équipiers ; c’est vraiment sympathique.

Nous voici donc arrivés au Groenland après une traversée depuis l’Islande de 500 milles parcourus en 4 jours 10 heures et 25 minutes, et je suis heureux de retrouver cette île, la plus grande du monde, à l’occasion de ce troisième voyage.

Ca ne passe plus!



Du haut du mât, la banquise

Trouver un passage?


Algol amarré à une plaque de glace


Au milieu de la banquise!!



Visualisation d'un iceberg au milieu de la banquise

Iceberg sorti du brouillard




Phare de Tasiilâq, seul phare de la côte est du Groenland


Tasiilâq

Mouillage de Tasiilâq